dimanche 29 avril 2012

Illuminations, Rimbaud

Me voici sur la place armoricaine. Que les villes s’allument dans le soir. Ma journée est faite ; je quitte l’Europe. L’air marin brûlera mes poumons ; les climats perdus me tanneront. Nager, broyer l’herbe, chasser, fumer surtout ; boire des liqueurs fortes comme du métal bouillant, - comme faisaient ces chers ancêtres autour des feux.
Je reviendrai, avec des membres de fer, la peau sombre, l’œil furieux : sur mon masque, on me jugera d’une race forte. J’aurai de l’or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. Je serai mêlé aux affaires politiques. Sauvé.

vendredi 27 avril 2012

lundi 23 avril 2012

La délicatesse de Foenkinos, quatrième de couverture

François pensa : si elle commande un déca, je me lève et je m’en vais. C’est la boisson la moins conviviale qui soit. Un thé, ce n’est guère mieux. On sent qu’on va passer des dimanches après-midi à regarder la télévision. Ou pire : chez les beaux-parents. Finalement, il se dit qu’un jus, ça serait bien. Oui, un jus, c’est sympathique. C’est convivial et pas trop agressif. On sent la fille douce et équilibrée. Mais quel jus ? Mieux vaut esquiver les grands classiques : évitons la pomme ou l’orange, trop vu. Il faut être un tout petit peu original, sans être toutefois excentrique. La papaye ou la goyave, ça fait peur. Le jus d’abricot, c’est parfait. Si elle choisit ça, je l’épouse…
- Je vais prendre un jus… Un jus d’abricot, je crois, répondit Nathalie. 
Il la regarda comme si elle était une effraction de la réalité.

jeudi 19 avril 2012

Et la mort n'aura pas d'empire, Dylan Thomas

Et la mort n'aura pas d'empire.
Les morts nus ne feront plus qu'un
Avec l'homme dans le vent et la lune d'ouest.
Quand leurs os becquetés seront propres, à leur place
Ils auront des étoiles au coude et au pied.
Même s'ils deviennent fous, ils seront guéris,
Même s'ils coulent à pic, ils reprendront pied,
Même si les amants se perdent, l'amour ne se perdra pas,
Et la mort n'aura pas d'empire.

Et la mort n'aura pas d'empire.
Depuis longtemps couchés dans les dédales de la mer,
Ils ne mourront pas dans les vents.
Se tordant sur des chevalets quand céderont les tendons,
Attachés à une roue, ils ne se briseront pas.
La foi dans les mains cassera net
Les démons unicornes les transperceront.
Fendus de toutes parts, ils ne craqueront pas
Et la mort n'aura pas d'empire.

Et la mort n'aura pas d'empire.
Les mouettes ne pousseront plus de cris dans leurs oreilles
Et les vagues ne se fracasseront plus sur les rives.
Où s'ouvrait une fleur peut-être qu'aucune fleur
Ne lèvera la tête sous les rafales de pluie,
Même s'ils sont fous et raides comme des rats morts
Leurs têtes martèleront les marguerites,
S'ouvriront au soleil jusqu'au dernier jour du soleil
Et la mort n'aura pas d'empire.

mardi 17 avril 2012

Aurélien d'Aragon, première page

La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide. Elle lui déplut, enfin. Il n’aima pas comment elle était habillée. Une étoffe qu’il n’aurait pas choisie. Il avait des idées sur les étoffes. Une étoffe qu’il avait vue sur plusieurs femmes. Cela lui fit mal augurer de celle-ci qui portait un nom de princesse d’Orient sans avoir l’air de se considérer dans l’obligation d’avoir du goût. Ses cheveux étaient ternes ce jour-là, mal tenus. Les cheveux coupés, ça demande des soins constants. Aurélien n’aurait pas pu dire si elle était blonde ou brune. Il l’avait mal regardée. Il lui en demeurait une impression vague, générale, d’ennui et d’irritation. Il se demanda même pourquoi. C’était disproportionné. Plutôt petite, pâle, je crois... Qu’elle se fût appelée Jeanne ou Marie, il n’y aurait pas repensé, après coup. Mais Bérénice. Drôle de superstition. Voilà bien ce qui l’irritait.
Il y avait un vers de Racine que ça lui remettait dans la tête, un vers qui l’avait hanté pendant la guerre, dans les tranchées, et plus tard démobilisé. Un vers qu’il ne trouvait même pas un beau vers, ou enfin dont la beauté lui semblait douteuse, inexplicable, mais qui l’avait obsédé, qui l’obsédait encore : 
Je demeurai longtemps errant dans Césarée... 
En général, les vers, lui... Mais celui-ci revenait et revenait. Pourquoi ? C’est ce qu’il ne s’expliquait pas. Tout à fait indépendamment de l’histoire de Bérénice… l’autre, la vraie... D’ailleurs il ne se rappelait que dans ses grandes lignes cette romance, cette scie.

dimanche 15 avril 2012

"Le silence est le refuge universel, la suite de tous les discours ennuyeux et de tous les actes stupides, un baume sur chacun de nos chagrins, aussi bienvenu après la satiété qu'après la déception; le fond que le peintre ne peut masquer, qu'il soit maître ou médiocre en son art et qui, quelque pâle figure que nous puissions faire, demeure toujours notre asile inviolable, où aucun malheur ne peut nous atteindre, où aucune personnalité ne nous dérange." Thoreau

vendredi 13 avril 2012

Eric Emmanuel Schmitt, le 11 avril, chez Mollat


"Le silence est un ami qui ne trahit jamais." (extrait de Les dix enfants que madame Ming n'a jamais eus)

Eric-Emmanuel Schmitt, c’est le symbole d’une littérature française vivante et talentueuse. 17h, dédicaces chez Mollat. L’homme arrive, il a une carrure impressionnante, et pourtant il n’intimide pas. Après quelques paroles échangées avec lui, Schmitt semble à la hauteur de ses personnages, chaleureux, doux, sensible. Attentionné aussi et un peu magicien. Il donne envie d’écrire, et d’avoir confiance en son travail. Ses derniers mots pour moi ont été « vos livres sortiront d’eux-mêmes un jour ». En attendant que mon écriture et moi grandissions un peu, lire du Schmitt est déjà sublime. La conférence est à 18h. Schmitt avoue avec humilité qu’il est hanté par le désir d’écrire depuis tout petit. Il est le peintre de l’âme féminine, puisque chacun de ses livres (ou presque) met en scène une femme dans le rôle principal. Si dans son dernier livre il choisit une « dame-pipi » comme héroïne, c’est pour montrer ce qu’il y a de grand et de sage en elle. Mme Ming (l’héroïne, donc), donne accès au mystère et à l’âme chinois : la philosophie de Confucius. Schmitt parle des préceptes du sage pendant un long moment. Il dit de façon très belle qu’il y a quelque chose au dessus de la vérité, qui est à la fois la sensibilité, la délicatesse, le tact, en somme, l’harmonie. L’autre a plus d’importance que le vrai. Ensuite, il développe un autre grand thème, l’imagination. Elle est une façon d’englober la réalité en la voyant d’une autre façon, avec mille facettes (me viennent alors à l’esprit les mots de Silvie Germain, qui disait que l’ « extraordinaire » était de prendre des éléments de l’ordinaire pour les amener à quelque chose de différent). L’imagination permet de dire des choses intimes, on se raconte plus par la fiction qu’en disant la réalité plate de la vie. Enfin, il évoque son écriture. La raison des mots qu’il choisit est souvent musicale. Au moment de l’écriture, les personnages lui dictent les choses, il devient scribe, non plus créateur. Le livre commande. En définitive, un homme humble qui avec douceur donne de vraies leçons de vie, des approches de croyance différentes, et des personnages émouvants. J’emprunterai pour terminer les mots de la conférencière, « quand on lit Eric-Emmanuel Schmitt, on le voit au moment de l’écriture, en train de sourire et jubiler ». 

mardi 3 avril 2012

Trains, André Breton et Philippe Soupault


Les talus se fendillent sous la chaleur des wagons rapides et des escarbilles rouges de toute la vapeur qui coule loin sur les arbres. On ne sait quelle est cette odeur des loups morts de faim qui vous prend à la gorge dans les wagons des classes inférieures. Courage pour ces cris des locomotives hystériques et pour ces gémissements des roues suppliciées. Au dehors, les arbres enivrés de tous les regards ont le vertige monstrueux des foules au départ d’un avion pour un voyage éternel. A tous les signaux, une énorme bête se tient cachée et regarde d’un seul œil ce grand lézard bruyant qui glisse sur des ruisseaux de diamants et sur les cailloux des mines aériennes.