On peut dire pour finir que les
séparés n’avaient plus ce curieux privilège qui les préservait au début. Ils
avaient perdu l’égoïsme de l’amour, et le bénéfice qu’ils en tiraient. Du
moins, maintenant, la situation était claire, le fléau concernait tout le
monde. Nous tous, au milieu des détonations qui claquaient aux portes de la
ville, des coups de tampon qui scandaient notre vie ou nos décès, au milieu des
incendies et des fiches, de la terreur et des formalités, promis à une mort
ignominieuse, mais enregistrée, parmi les fumées épouvantables et les timbres
tranquilles des ambulances, nous nous nourrissons du même pain d’exil,
attendant sans le savoir la même réunion et la même paix bouleversantes. Notre
amour sans doute était toujours là, mais, simplement, il était inutilisable,
lourd à porter, inerte en nous, stérile comme le crime ou la condamnation. Il n’était
plus qu’une patience sans avenir et une attente butée. Et de ce point de vue, l’attitude
de certains de nos concitoyens faisait penser à ces longues queues aux quatre
coins de la ville, devant les boutiques d’alimentation. C’était la même
résignation et la même longanimité, à la fois illimitée et sans illusions. Il
faudrait seulement élever ce sentiment à une échelle mille fois plus grande en
ce qui concerne la séparation car il s’agissait alors d’une autre faim et qui
pouvait tout dévorer.
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